La civilisation du spectacle. Mario Vargas Llosa.

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****La civilisation du spectacle. Mario Vargas Llosa.

p.63 Trilling était un libéral non pas en économie (dans ce domaine il affichait plutôt des thèses socio-démocrates), mais en politique, par sa défense obstinée de la vertu pour lui suprême de la tolérance, de la loi comme instrument de la justice, et surtout, en matière culturelle, par sa foi dans les idées comme moteur du progrès et sa conviction que les grandes œuvres littéraires enrichissent la vie, améliorent les hommes et nourrissent la civilisation.

p67. Responsabilité et intelligibilité vont de pair avec une certaine conception de la critique littéraire, avec la conviction que le domaine de la littérature embrasse toute l’expérience humaine, car elle la reflète et contribue de façon décisive à la modeler, et que, pour cela même, elle devrait être le patrimoine de tous, une activité qui s’alimente au fonds commun de l’espèce et à laquelle on peut recourir sans cesse à la recherche d’un ordre quand nous semblons plongés dans le chaos, d’un second souffle si nous sommes saisis par le découragement, les doutes et les incertitudes quand la réalité qui nous entoure semble excessivement sûre et fiable.

p77. Dans aucune activité autre que le sexe on ne trouve peut-être de frontière aussi évidente entre l’animal et l’humain.

p78. C’est pour cela que l’érotisme trouve dans l’interdiction non seulement un aiguillon voluptueux, mais aussi une limite qui, si elle est violée, devient souffrance et mort.

p80. C’est cela l’érotisme. Avec ses rituels, ses fantaisies, sa vocation à la clandestinité, son amour des formes et de la théâtralité, il naît comme un produit de haute civilisation, un phénomène inconcevable dans les sociétés primitives, car il exige sensibilité, raffinement, culture littéraire et artistique, et certaine vocation transgressive.

p98. Pour qu’une démocratie fonctionne correctement il est indispensable de compter sur une bureaucratie compétente et honnête,

p101. Un aspect névralgique de notre époque qui contribue à affaiblir la démocratie est le non-respect de la loi, une autre des très graves séquelles de la civilisation du spectacle.

p102. Le non-respect de la loi est né au sein des États de droit, et consiste en une attitude de mépris ou de dédain envers l’ordre légal existant et une indifférence ou anomie morale qui autorise le citoyen à transgresser et à violer la loi autant de fois qu’il le peut pour en tirer profit, certes, mais aussi, très souvent, simplement pour manifester dédain et incrédulité face à l’ordre existant. Ils ne sont pas rares ceux qui, à l’ère de la civilisation du divertissement, enfreignent la loi pour s’amuser, comme l’on pratique un sport à risque.

p106. Le non-respect de la loi nous conduit inévitablement à une dimension plus spirituelle de la vie sociale. Le grand discrédit de la politique se rattache sans doute à la faillite de l’ordre spirituel qui, dans le passé, du moins dans le monde occidental, jouait le rôle de frein des débordements et des excès que commettaient les maîtres du pouvoir.

p110. Mais nul ne peut nier la présence qu’occupe le thème religieux dans la vie sociale, politique et culturelle contemporaine ;

p117. Les hommes s’efforcent de croire en Dieu parce qu’ils n’ont pas confiance en eux-mêmes.

p123. La sécularisation ne peut signifier persécution, discrimination ni interdiction des croyances et des cultes, mais liberté illimitée pour les citoyens d’exercer et de vivre leur foi sans le moindre obstacle à la condition expresse de respecter les lois qu’édictent les Parlements et les gouvernements démocratiques. L’obligation de ces derniers est de garantir que nul ne sera poursuivi ou persécuté en raison de sa foi et, en même temps, de faire en sorte que ces lois soient tenues à l’écart des doctrines religieuses.

p129. La frivolité désarme moralement une culture incroyante. Elle sape ses valeurs et permet à des pratiques malhonnêtes et, parfois, ouvertement délictueuses de s’infiltrer sans entraîner aucune sorte de sanction morale.

p131. Bien entendu, un gouvernement démocratique doit permettre aux familles immigrantes de préserver leur religion et leurs coutumes. Mais à condition qu’elles ne heurtent pas les principes et les lois de l’État de droit.

p140.Aussi, une question inquiétante m’a taraudé : pourquoi la culture dans laquelle nous évoluons s’est-elle banalisée au point de devenir trop souvent une pâle imitation de ce que nos pères et grands-pères entendaient par ce mot ? Il me semble qu’une telle détérioration nous plonge dans une confusion croissante dont pourrait résulter, à court ou long terme, un monde sans valeurs esthétiques, dans lequel les arts et les lettres — les humanités — seraient devenus pour ainsi dire des formes secondaires du divertissement, à la traîne en regard de ce que proposent au grand public les médias audiovisuels et sans guère d’influence sur la vie sociale. Celle-ci, résolument guidée par des considérations pragmatiques, se déroulerait alors sous la direction absolue des spécialistes et des techniciens, tournée essentiellement vers la satisfaction des nécessités matérielles et animée par l’esprit de lucre, moteur de l’économie, valeur suprême de la société, mesure exclusive de l’échec et du succès et, par là même, raison d’être des destins individuels.
[...]
en somme, toute cette dimension spirituelle anciennement appelée culture qui, quoique confinée principalement dans une élite, rejaillissait jadis sur l’ensemble de la société et l’influençait en donnant un sens à la vie et une raison d’être à l’existence qui dépassait le seul bien-être matériel.

p142.  Fort conscient des déficiences de ma formation, j’ai essayé toute ma vie de suppléer à ces vides en étudiant, en lisant, en visitant des musées et des galeries, en fréquentant des bibliothèques, en allant aux conférences et aux concerts.

p145." lire » est une opération qui, au-delà de l’information sur le contenu des mots, signifie aussi, et peut-être surtout, jouir, savourer cette beauté qu’à l’égal des sons d’une belle symphonie, les couleurs d’un tableau insolite ou les idées d’une argumentation subtile, dégagent les mots

p149. Van Nimwegen, a déduit de ses expériences : confier aux ordinateurs la solution de tous les problèmes cognitifs réduit « la capacité de nos cerveaux à construire des structures stables de connaissances ». En d’autres termes : plus notre ordinateur sera intelligent, plus nous serons sots.

p152. Les illusions forgées par les mots exigent une participation active du lecteur, un effort d’imagination et, parfois, s’agissant de littérature moderne, d’opérations compliquées de mémoire, d’association d’idées et de création, ce dont dispensent les images du cinéma et de la télé. Les spectateurs, en partie à cause de cela, deviennent de plus en plus paresseux, et plus allergiques à un divertissement qui leur demande des efforts intellectuels.

p156.  L’information audiovisuelle, fugace, passante, tapageuse, superficielle, nous fait voir l’histoire comme fiction, en nous distanciant d’elle par l’occultation des causes, des engrenages, des contextes et du développement de ces événements qu’elle nous présente de façon si vivante. C’est une façon de nous faire sentir aussi impuissants à changer ce qui défile sous nos yeux que lorsque nous regardons un film. Elle nous condamne à cette réceptivité passive, atonie morale autant qu’anomie psychologique, où nous plongent les fictions ou programmes de consommation massive dont le seul but est de divertir

p163.  la culture était un outil de formation et portait une exigence de lucidité, aujourd’hui la primauté du spectacle est devenue la règle qui conduit à la distraction, au sens propre, de toute conscience morale, intellectuelle et politique.




Biographie suggérée: En français : Internet rend-il bête ? Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté (Robert Laffont, 2011).

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