Jean, DUVIGNAUD. Le don du rien. Citations et notes



Jean, DUVIGNAUD. Le don du rien. Téraèdre, Paris 2007.           306.6 DUV

Pag 51   Il est possible que les mythes composent un système et que ce système, dûment inventorié, définisse la culture d’une société. Il n’est pas certain que cette culture concerne tous les «états et toutes les expériences sociales.

Pag 55-56 […] il s’agit de mimer, par un retour embryonnaire aux instances naturelles, une phase présociale –au cours de laquelle tout peut arriver, parce que tout est possible, y compris l’effacement des rôles imposés par la culture et la société, et la découverte d’un être qui ne se confondrait plus avec l’image du « soi » imposé par la division du travail et la vie industrielle.

Pag 57 Un constat s’impose : un public est nécessaire à la transe comme il est nécessaire à l’acteur. Un public qui n’est jamais composé d’individus passifs. Qui construit une attente commune dont la trame invisible est perceptible par quiconque est monté sur une scène, u podium et connaît le caractère avide et « rongeur » du groupe, là, rassemblé qui l’attend.

Pag 59 Voir n’est pas une activité innocente. Voir n’est pas simple. U e suite d’actions existe parce que nous la recevons et que nous lui donnons par infrastructure le « sous-texte » de notre vie personnelle. Ce qu’on dépense ici en énergie n’est pas rendu, s’épuise dans la dramatisation même, quelle que soit notre adhésion au spectacle.

                Voir engage le corps. Plus précisément, le corps voit à travers le regard. Le corps, la masse psychique grossie de tous les spectateurs confinés dans un lieu clos. Dans ce fragment de l’espace, la concentration, la densité affective s’accentue et s’oriente –vers l’acte d’accomplir, le scénario à jouer.

Pag 72-73 Si l’acteur trouve son statut en Europe à la fin du XVIème siècle -statut qui ne ressemble à celui qui peuvent lui avoir accordé des civilisations où l’écriture n’a jamais pris d’importance- cela résulte sans doute de l’existence instituée, établie d’un texte permanent, étranger à la destruction du temps, qui est le livre. L’acteur ne se laisse pas envahir par un personnage mythique, il se modèle sur un rôle défini par un poète ou un écrivain. Il est le serviteur de l’écriture.

Pag 75 L’expérience de la transe ne s’attache à aucun modèle comme la fête ne s’attache à aucune institution : l’une et l’autre paraissent an sens propre des actes de subversion.

Pag 84 […] pour la mémoire collective, la chose à plus d’importance que le souvenir affective ou personnel : l’objet arrête le temps, immobilise la durée, tisse la toile du système culturel autour d’un objet permanent, qui, lui, échappe à la dissolution générale, à la mort.

Pag 87 L’oubli seul provoque l’innovation, parce que les structures sociales, plus fortes que le souvenir, appellent à reconstituer des modèles qui rendent aux hommes le sentiment d’une totalité dans la fragmentation de l’esclavage ou la dispersion de la durée.

Pag 89-90 La conservation des souvenirs et du passé n’est un « problème » que par cet oubli généralisé qui affecte le passage d’une génération à l’autre, qui accompagne les traumatismes collectifs –invasions, catastrophes cosmiques, épidémies –ou qui simplement s’empare des civilisations qui se conservent, immobiles. Le pourrisement des sociétés est inscrit dans la vie collective au même titre que la reproduction des institutions et le dynamisme capable d’inventer des formes nouvelles de relations humaines. C’est dire que le symbole n’apparaît plus comme l’instrument d’une sécurisante conservation de la mémoire collective…

Pag 102 La distinction arbitraire de « beaux arts » nous empeche de saisir l’importance de cetta parole errante qui compose pourtant, bien d’avantage que la « littérature », la substance de rapports entre les hommes, la substance de leur communication simaginaires. L’inmense domaine de la narration et du récit d’aventure de l’homme affronté au cosmos ne s’intégre pas toujours à ce que les lettrés définissent par la culture.

Pag 107-108 La scénario de ces contes, la forme de cet univers « merveilleux » ou « magique », les faits suggérés, les aventures décrites nous ramènent à cet espace plein de trous, à cette terre où l’on plantera de croix.

Pag 108 Monde où l’on se met à l’épreuve. Où l’on « mérite » son « retour » par le courage, la fidélité où la russe.
La figure humaine qui affronte ces hiérophanies les perçoit à travers de projections métaphoriques où se confondent signes ou formes arrachés à toutes les croyances et aux survivances des culture pré-chrétiennes, pré-urbaines et nomades.

Pag 109 La parole errante du conte nous ramène à la fête.
                Cérémonies surtout et d’abord. Parce qu’elles  répondent à une action sociale précise et animent une vie commune qu’elles exaltent sans la mettre en cause, apparemment.

Pag 110 Ces sont des figures de transformation, d’une transformation « magique » et qui placent celui qui le « vêt » dans la situation d’être plus que l’homme du commun, ou que son adversaire : le déguisé s’empare d’un paquet de significations qui renvoient à une image du monde où l’hasard et le possible dominent le réel – et la politique.

Pag 111 Questions posées sur la fête : qui paie qui ? à qui est donné le spectacle ? qui profite de la fête ?

Pag 112 La fête c’est plus encore. Les personnages du drame imaginaire qui la composent renvoient au langage des contes.
                - Ce sont des actes sociaux, des cérémonies qui tendent à consolider, à conserver et à enrichir la vie sociale.

Pag 114 Le théâtre comme expression dominante

Pag 117 Les systèmes mythiques ou symboliques ne sont pas de constructions intellectuelles : ils concernent la vie quotidienne et subissent le changement que les variations de cette dernière leur imposent.
                Si le symbole renvoie à un acte social, c’est qu’il suggère une activité qui replace les sociétés humaines dans un tête-à-tête avec la nature ou le cosmos.

Pag 118 Et la fête alors –puisqu’on don le symbole comme un de ses composants – serait l’acte ou cours duquel l’homme retrouverait, dans une convulsion étrangère à tout concept, l’affrontement de la nature et de la société, l’affrontement de l’homme et du cosmos parsemé de forces diverses : espace topologique radicalement différent de l’espace de trois dimensions et homogène euclidien ou cartésien.

/Pag 119 Confrontation ou tête-à-tête avec les instances matérielles – la faim, le désir, la mort- qui détruisent ou détruiraient les sociétés, si les sociétés ne se rebellaient pas contre elles. Acte de subversion et de destruction. Acte momentané, acte périssable…

Pag 128 Curieux état de « pagaille ». Pagaille heureuse et animée, si l’on observe les visages détendus.

Pag 129 … on a basculé dans l’activité festive. Personne, dans les conversations confuses, ni maintenant quand on prend à part l’un ou l’autre, ne sait ce qu’il faut faire. Le concept de la fête ne préexiste pas à la manifestation vivante, tout au contraire des rites sacrés ou des activités techniques.

Pag 130 […]il s’agit d’un autre savoir, d’un savoir qui ne se deduit pas d’un concept ni d’un rite, qui ne résulte pas d’un concept ni d’un rite, qui ne résulte pas de l’accomplissement d’un gestuelle mythique.

Pag 139 Volupté : elle est surtout appréhension d’une expérience infinie, et dont on st incapable de justifier l’utilité.*

Pag158 Or, ce don n’est pas seulement inutile, il ne possède aucune finalité, puisqu’il ne renvoie pas au système social qu’il déborde : il est là, simplement, constat, épreuve de l’homme par l’anéantissement naturel.
Ce sont là les moments de la fête dont le caractère n’est pas seulement, comme le voulait Durkheim, de susciter une «effervescence » qui exalte la totalité de la conscience collective dans un vaste « tohu-bohu » qui réanime l’ordre établit et le conforte. Car ces moments fulgurants et qui impliquent, avec l’abandon de soi, une remise en cause de l’être lui-même, révèlent pour un instant périssable, souvent bref, la réalité périssable de la vie collective.

Pag159 Généralement on tente de compenser le caractère fulgurant de la fête et de ce don du rien par l’idée de célébration rituelle et de régularité dans le calendrier : l’institution chronologique fixe la période des fêtes.

Pag166 Investir de l’émotion dans la pierre, dans la forme, dans les sons ou dans la représentation dramatique, c’est l’acte inverse de celui auquel conduit le calcul économique qui mesure la rentabilité à la quantité de travail investie dans les choses produites.

Pag170 Comme les spectacles dramatiques incluent sur la scène la diversité des lieux du monde.

Pag171 Il s’agit de s’arracher à une culture close. De défier à la fois le capital naissante et le cosmos. De donner à cet excès d’être et de désir qu’apporte la surabondance de richesse, à travers le bouleversement de formes et la destruction des relations établies, une vision que l’on devrait dire « sublime » de l’homme et de l’avenir.

Pag178 N’y aurait-t-il pas une relation entre l’angoisse d’être et la peur d’exister en tant qu’individu séparé, et la puissance technologique ainsi que la division du travail qu’elle entraîne ?

Pag 188 « Faire du théâtre une réalité à laquelle on puisse croire, et qui contient pour le cœur et les sens cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie. » (Artaud)

Pag190 En plaçant la souffrance sur la scène sociale, l’arène, la place publique, le théâtre, nous consacrons le rabougrissement de l’homme auquel Occident travaille depuis de millénaires.

Pag193 Le côté involontaire du comique est de ramener l’homme comique au niveau de la matière : un visage qui fait rire suggère une action mécanique, désigne aussi une motivation plus profonde, une « distraction fondamentale de la personne, comme si l’âme s’était laissée fasciner, hypnotiser par la matérialité d’une action simple. »
Par là sait-on ce que le travestissement ou le déguisement peuvent entraîner le rire : l’homme qu’on croirait déguisé est comique, mais celui qui se déguise cherche à provoquer le rire.

Pag194 Nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une chose
Le comique des mots apparaît « dès que notre attention se concentre sur al matérialité d’une métaphore où interférent deux systèmes d’idées dans la même phrase. » Ou que l’on transpose sur un autre registre ou sur un ton différent, l’expression normale d’une idée banale.

Pag195 Si bien que la « détente » qui accompagne le rire est une vengeance de l’intelligence de la vie contre la matière.
L’art est une perception prolongée qui replonge la vie imaginaire dans la trame de l’existence, […]

Pag200 Les rêves, la fête, le rire, le jeu, l’imaginaire sous tous leurs aspects constitueraient, dans les formes diverses de l’expérience collective, la part irrécupérable par toute organisation de quelque importance.
[…]
Comme le rire ils secouent l’être pour l’ouvrir au champ du possible, la région immaîtrisée  du virtuel.
La manducation, la dévoration du vide qui se révèle dans le rire est comme ce don du rien au rien dont on a parlé plus haut, la manifestation d’une surabondance d’être, d’un trop plein énergétique dont disposeraient les hommes et dont les autres espèces seraient privées.

Pag202 L’excès d’énergie dont dispose l’espèce fait éclater le cadre social et culturel, comme le rire fait éclater le corps.  La surabondance d’énergie soudainement éveillée place les ensembles humains dans la situation d’attente ou de préparation à une explosion de l’être commun, une « extase » -ce mot pris dans un sens dépouillé de toute théologie. 

Pag203 Certes, il n’existe pas des fêtes absolues ! Les genres de fêtes sont différentes quand elles emplissent le champ expérimental des sociétés ou des civilisations différentes : […]
C’est pour cela que la fête s’accouple avec le rire. L’un et l’autre visent le circuit établit entre la reproduction sociale et l’adhésion des hommes, au cours d’une jubilation matérielle où l’excès d’énergie ou le dynamisme propre à l’espèce s’ouvre sur la prémonition utopique d’une existence infinie, où l’homme ne serait plus confiné dans les cadres sociaux.
Rousseau dit que la fête commence là où il n’y a plus d’acteur et lorsque la société se donne à elle-même le spectacle de son existence.

Pag205  Le dynamisme même de sociétés, quand il affronte une coercition étrangère généralisée, comme ce fût le cas du colonialisme européen dans les pays d’outre-mer, suscite de formes sociales inédites et nouvelles […]

Pag206 On devrait parler ici d’un excès de créativité sociale sans cesse contenu par un effort non moins puissant de stabilisation.

Pag213 La fête renvoie à un ensemble de l’expérience imaginaire
L’expérience imaginaire de l’homme est plus vaste que son comportement social.

Pag215 La fête serait cette métaphysique en acte, une métaphysique qui, nous replaçant en tête à tête avec une nature ou une matière infinie, nous ramènerait au paris fait sur l’imprévisible, au don du rien, fait au rien…

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