L'Evangile selon Pilate; Eric-Emmanuel SCHMITT

*De tous les sentiments, celui que j'ai le plus éprouvé pendant la première partie de ma vie fût sans doute la colère, une sorte d'indisposition à l'injustice, un refus de pactiser; je n'accepte pas les choses telles qu'elles sont, je les veux telles qu'elles doivent être. Qu'allait-on faire de moi?


*"Souvent, en face d'un homme, je vois l'enfant derrière, et le vieillard, devant, tout un chemin de vie cahotant et fragile."


*"Répondre à l’agression par l’agression, œil pour œil, dent pour dent, n’avait pour résultat que de multiplier le mal, et pis, de le légitimer. Répondre à l’agression par l’amour, c’était violenter la violence, lui plaquer sous le nez un miroir qui lui renvoie sa face haineuse, révulsée, laide, inacceptable."


*"Comme les devins, les femmes ont tendance à mettre de la pensée partout, à lire l'univers des objets et des choses comme un parchemin. Elles ne regardent pas, elles déchiffrent. Tout à toujours un sens. Si le message n'est pas apparent, il est caché. Il n'y a jamais de faille, jamais d'insignifiance."


*..."le fameux Fabien, riche et débauché, un des hommes qui mériterait l'expression "coureur de femmes" si elle n'était pas aussi idiote - les femmes ne courant pas."


*"Par la fênetre, je regardais le jour baisser; le ciel devenait violacé, les corps ne portaient plus d'ombre sur les pavés. C'était l'heure indécise où le jour et la nuit glissent l'un sur l'autre sans qu'aucun ne l'emporte."


-Et toi, Fabien, tu n'aimes personne?
-Moi? Je cours après tout ce qui bouge, mais je ne retiens personne. Je ne suis qu'un homme dissolu Pilate, c'est-à-dire, un homme qui n'a aucune confiance en lui. De temps en temps, parce que j'ai aucune considération pour moi, j'essaie de lire dans le regard des autres. J'ai un physique qui fait tomber les femmes dans un lit; alors je tombe avec. Je trompe ma soif d'amour avec le sexe. Mais je suis incapable de m'engager. Après deux ou trois étreintes, je sens qu'il faudrait aller plus loin, se découvrir, découvrir l'autre, montrer mon âme à nue. Je préfère me promener les fesses à l'air que l'âme à découvert. J'ai participé à toutes les orgies de Rome sans me révéler un instant. Toi, en revanche, j'ai l'impression que tu es constamment toi-même. Et la raison en est Claudia.
Je souris ce qui lui fait baisser les yeux.
- Pourtant, en ce moment, Fabien, tu parles bien à nu.
- Du tout. C'est très couvrant de dire du mal de soi, surtout si l'on sait trouver les bonnes formules : elles vous habillent.


*"Je sais qu’une nation dépose toujours sa trace indélébile sur les traits d’un visage; la langue fait des bouches et des dents qui n’ont pas besoin de parler pour qu’on les reconnaisse; le régime alimentaire fait la texture des peaux; les moeurs font des regards audacieux ou pudiques, mobiles ou fixes ; le ciel qui les voit naître fait la couleur des yeux."


*Mes raisonnements provoquent immanquablement l'hilarité de Claudia. Elle prétend que Yéchoua n'avait aucune raison de s'installer. Il suffit qu'il soit venu une fois. Car il ne doit pas apporter trop de preuves. S'il se montrait clairement, continuellement, avec force et évidence, il contraindrait les hommes, il les obligerait à se prosterner, il le soumettrait à une loi naturelle, quelque chose comme l'instinct. Or il a fait l'homme libre. Il tient compte de cette liberté en nous laissant la possibilité de croire ou ne pas croire."


*"Ils n'ont pas tort. Même si le signe est horrible, c'est sur la croix que Yéchoua nous a manifesté l'essentiel. S'il s'est laissé crucifier,  c'est par amour pour les hommes. S'il est ressuscité c'est pour montrer qu'il avait raison d'aimer. Et qu'il faut toujours, en toute circonstance, même si l'on est démenti, avoir le courage d'aimer."


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